Item 279 à l'EDN : Cirrhose et complications

Fiche de révision pour l'EDN

Cirrhose (définition histologique) : désorganisation globale de l'architecture du foie, liée à une fibrose annulaire délimitant des nodules d'hépatocytes en amas (nodules de régénération).

Epidémiologie

  • Prévalence en France : de 2000 à 3300/million d'habitants (0,2 à 0,3 %), soit environ 500 000 personnes.
  • Incidence annuelle : 150 à 200 cas/million d'habitants.
  • Mortalité : 16 000 décès/an.

Evolution

De nombreuses maladies chroniques du foie peuvent aboutir à une cirrhose si leur évolution est prolongée (au moins > 10-20 ans) :

  1. Cirrhose compensée (stade précoce) : asymptomatique.
  2. Cirrhose décompensée : ascite, ictère, encéphalopathie hépatique, hémorragie digestive.

Carcinome hépatocellulaire (CHC) : peut survenir avant le stade de cirrhose en cas de maladies chroniques du foie (notamment si hémochromatose, hépatite B, stéatohépatite métabolique).

Examen clinique

  • Peut être normal
  • Palpation hépatique : anomalie de la taille (augmentée ou diminuée / atrophique) et/ou de la consistance du foie (ferme, dur, bord irrégulier dit "tranchant")
  • Signes d'insuffisance hépatocellulaire : angiomes stellaires (thorax), érythrose palmaire, leuconychie (ongles blancs), ictère, foetor hepaticus, encéphalopathie hépatique (inversion du cycle nychtéméral, astérixis, confusion, troubles de la conscience), hypogonadisme (atrophie des organes génitaux externes, gynécomastie et dépilation chez l'homme / dysménorrhée chez la femme)
  • Signes d'hypertension portale : circulation veineuse collatérale sus-ombilicale (dilatation des veines sous-cutanées abdominales), splénomégalie, ascite.

Examens paracliniques

Bilan biologique

Bilan hépatique (possiblement peu perturbé) : ASAT (TGO) / ALAT (TGP), bilirubine totale, γ-GT, phosphatases alcalines (PAL)

  • Si insuffisance hépatique : diminution des facteurs de coagulation (TP et facteur V), élévation de l'INR, diminution de l'albuminémie, élévation de la bilirubinémie.
  • Si hypertension portale : hyperspénisme (thrombopénie surtout, leucopénie et anémie possibles).

Echo-doppler abdominale (en première intention)

  • Peut être normale
  • Possibles irrégularités des contours hépatiques, dysmorphie, atrophie (lobe droit)/ hypertrophie (lobe gauche).
  • Si hypertension portale : splénomégalie, présence de voies de dérivation porto-caves.
  • Si ascite : cirrhose décompensée.

Elastométrie impulsionnelle (Fibroscan®, le plus performant)

Principe : analyse semi-quantitative du degré de fibrose grâce à l'étude de la vitesse de propagation d'une onde de cisaillement avec une sonde d'échographie.
Nécessité d'être à jeun depuis plus de 2 heures.

Tests sériques de fibroses simple (Fib4®) ou spécialisés (Fibrotest®, Fibromètre®)

Principe : estimation semi-quantitative du degré de fibrose, mais non validé pour toutes les maladies chroniques hépatiques.

Biopsie hépatique

Examen de référence mais pas indispensable (si les examens non invasifs ont déjà fait le diagnostic, si l'étiologie est incertaine, etc.).
Possible par voie percutanée ou transjugulaire, selon s'il existe de l'ascite et/ou des troubles de l'hémostase.

Etiologies

Identifier la cause : primordial car certaines sont traitables, ce qui modifie le pronostic.

Causes fréquentes :

  • Alcool : consommation excissive, anémie macrocytaire, rapport ASAT/ALAT > 2, γ-GT augmentée avec phosphatases alcalines subnormales, bloc β-γ à l'électrophorèse des protéines sériques (fusion des pics aux β et γ-globulines), histologie
  • Stéatopathie métabolique : surpoids, diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie, histologie
  • Hépatite B : présence d'antigène HBs, PCR positive à ADN VHB dans le sérum
  • Hépatite C : présence d'anticorps anti-VHC, PCR positive à l'ARN VHC dans le sérum

Causes moins fréquentes :

  • Hémochromatose génétique : coefficient de saturation de la transferrine > 45 %, mutation homozygote C282Y du gène HFE, possible hyperferritinémie.
  • Cholangite biliaire primitive : terrain (femme âgée, affections auto-immunes associées), cholestase, anticorps anti-mitochondries de type M2, histologie
  • Cholangite sclérosante primitive : terrain (homme jeune, maladie inflammatoire chronique intestinale associée), cholestase, cholangite diffuse en imagerie (bili-IRM ou cholangiographie rétrograde)
  • Hépatite auto-immune : terrain (femme, affections auto-immunes associées), cytolyse marquée, hypergammaglobulinémie développée aux dépends des IgG, anticorps anti-tissus à un titre élevé, hdonnées histologiques
  • Cirrhose biliaire secondaire : obstacle prolongé sur les voies biliaires
  • Hépatite chronique B-Delta : Ag HBs, anticorps anti-VHD, ARN VHD
  • Syndrome de Budd-Chiari : obstruction des veines hépatiques en imagerie, affection prothrombotique

Bilan étiologique

  • Première intention : glycémie à jeun, bilan lipidique (cholestérol, triglycérides notamment), ferritinémie (augmentation possible dans toutes les maladies du foie, non spécifique d'une hémochromatose) et coefficient de saturation de la transferrine (augmentation possible à cause de la diminution de la transferrine), sérologies des hépatites B et C, électrophorèse des protéines plasmatiques.
  • Seconde intention : sérologie delta (VHD) en cas d’AgHBs positif, anticorps anti-tissus (anti-nucléaires, anti-muscle lisse, anti-LKM1, anticorps anti-mitochondries).

Scores pronostiques

Scores pronostiques pour suivre l'évolution d'une cirrhose : score de Child-Pugh et score MELD (bilirubinémie, INR, créatininémie).

Score de Child-Pugh
Paramètres 1 point 2 points 3 points
Albumine (g/L) > 35 35 - 28 < 28
Bilirubine totale (µmol/l) < 35 35 - 50 > 50
Encéphalopathie Absence Légère à modérée (stade 1 - 2) Sévère (satde 3 - 4)
TP (%) > 50 50 - 40 < 40
Ascite Absence Modérée Abondante

Après calcul :

  • Child-Pugh A (score 5-6) : 100 % de survie à 1 an
  • Child-Pugh B (score 7-9) : 80 % de survie à 1 an
  • Child-Pugh C (score 10-15) : 45 % de survie à 1 an

Traitement de la cirrhose

Objectifs :

  • Si cirrhose compensée : prévenir les complications, notamment vaccinations (pneumocoque, hépatites A et B, grippe, COVID-19).
  • Si cirrhose décompensée : revenir à une situation durable de cirrhose compensée.

Traitement de la cause :

  • Cirrhose alcoolique : sevrage de l'alcool.
  • Hépatite chronique B : traitement antiviral.
  • Hépatite chronique D : traitement antiviral.

Dépistage systématique du carcinome hépatocellulaire.

Avis spécialisé : toujours justifié pour ne pas méconnaitre la possibilité d'une transplantation hépatique (seul traitement radical).

Complications potentielles

Ascite

Traitement

  • Régime hyposodé large (80-120 mmol/jour, soit 5 g) : toujours justifié
  • Diurétiques (surveillance du ionogramme nécessaire) : spironolactone (en absence de contre-indication, notamment l'insuffisance rénale, car hyperkaliémiant), furosémide (en deuxième intention, hypokaliémiant)
  • Si ascite tendue : ponctions évacuatrices, perfusion d'albumine (selon le volume ponctionné)

Efficacité : diminution du périmètre abdominal, diminution des oedèmes, perte de poids, diurèse, natriurèse, diminution de la gêne fonctionnelle.

Infection spontanée du liquide d'ascite

Clinique : fièvre, douleurs abdominales, diarrhée, hyperleucocytose, encéphalopathie.
Possible asymptomatique initialement : ponction expliratrice systématique à chaque poussée d'ascite.

Diagnostic : polynucléaire neutrophiles > 250/mm3 dans le liquide d'ascite.

Bactériologie : positif à l'examen direct dans 40 %.
Germes : entérobactéries.

Si méconnue ou non traitée : possible encéphalopathie, insufisance rénale, choc septique et décès.

Traitement (urgence) :

  • Antibiothérapie intraveineux probabiliste ciblant les bacilles gram négatifs (BGN) : Cefotaxime ou Ceftriaxone si communautaire, Tazocilline si nosocomial
    Dès que les prélèvements sont réalisées (hémocultures, ponction d'ascite, ECBU)
    Durée : 5 jours 
  • Expansion volémique : albumine 20% à J1 et J3 (diminution des risques de syndrome hépatorénal et de mortalité)
  • Ponction exploration de contrôle à 48h : efficace si diminution >25% des leucocytes dans l'ascite

Hémorragies digestives

Causes :

  • Hypertension portale : rupture de varices oesophagiennes (RVO), gastriques ou ectopiques, gastropathie d'hypertension portale.
  • Ulcère gastro-duodénal

Clinique :

  • Hématémèse, méléna voire hématochézie si abondante (l'extériorisation peut être décalée de plusieurs heures, rendant le diagnostic difficile et justifiant un touché rectal).
  • Pâleur cutanéomuqueuse

Gravité :

  • Tachycardie : précoce, sauf si prise de bétabloquants
  • Hypotension artérielle
  • Etat de choc : marbrures, sueurs, troubles de la conscience, augmentation du temps de recoloration cutanée, oligurie

Prise en charge : transfert en unité de soins intensifs / réanimation

  • Biologie : numération sanguine (l'hématocrite mesuré précocément peut sous-estimer la gravité), groupages sanguins (2 déterminations), recherche d'agglutinines irrégulières (RAI).
  • Si état de choc : 2 voies veineuses périphériques de bon calibre pour remplissage vasculaire, transfusion globulaire (objectif Hb 7-8 g/dl).
  • Traitement vasoactif (réduction de la pression portale, idéalement avant l'endoscopie) : somatostatine, analogue (octréotide) ou dérivé de la vasopressine (terlipressine), pendant 2 à 5 jours.
    Au-delà : bêtabloquants non cardiosélectifs au long cours.
  • Endoscopie digestive haute : nécessité d'une préparation (érythromycine intraveineuse pour accélérer la vidange gastrique, contre-indiquée si QT long à l'ECG).
    Objectif : diagnostique et thérapeutique (arrêt du saignement actif).
  • Si échec de l'endoscopie :
    • Varices oesophagiennes : sonde de tamponnement oesophagien (sonde de Blakemore) ou mise en place d'un shunt porto-cave intrahépatique par voie transjugulaire (TIPS).
    • Ulcère : embolisation en radiologie interventionnelle, gastrectomie d'hémostase.
  • Antibiothérapie : antibioprophylaxie systématique par une C3G (Cefotaxime) pendant 7 jours en cas de rupture de varices oesophagiennes (car infection bactérienne fréquente au décours).

Attention :

  • Sonde gastrique : n'est plus recommandée.
  • Si arrêt spontanée du saignement (le plus fréquent) : la correction des troubles de l'hémostase via la transfusion de plasma frais congelé (PFC) n'est pas recommandée.

Prévention : endoscopies digestives de dépistage et ligatures élastiques des varices à risque, bêtabloquants non cardiosélectifs (en absence de contre-indication).

Encéphalopathie hépatique (EH)

Symptômes neurologiques : astérixis, confusion, coma.

Physiopathologie : hyperammonémie (liée à l'insuffisance hépatique et aux shunts veineux porto-systémiques).

Facteurs déclenchants un épisode aigu (possiblement associés) : infections bactériennes, hémorragies digestives, médicament sédatif, insuffisance rénale, hyponatrémie, constipation, shunt porto-systémique.

Prise en charge :

  • Identifier et traiter le(s) facteur(s) déclenchant(s)
  • Prévention de l'inhalation du contenu gastrique : sonde nasogastrique, position demi-assise, voire intubation trachéale
  • Lactulose : curatif ou prévention secondaire
  • Rifaximine (antibiotique non absorbable) : si échec du lactulose

Syndrome hépatorénal

Définition : insuffisance rénale d'origine fonctionnelle, apparaissant à un stade avancé de la cirrhose, non corrigée par le remplissage vasculaire, par perfusion d'albumine, l'arrêt des diurétiques et des médicaments néphrotoxiques.

Survient généralement si insuffisance hépatique sévère (TP < 50%) et ascite importante.

Traitement : vasoconstricteurs et albumine, mais amélioration généralement transitoire.
La transplantation hépatique est le seul traitement durablement efficace.

Hépatite alcoolique

Hépatite alcoolique aigüe sévère : survient le plus souvent sur un foie de cirrhose éthylique.

Clinique : ictère récente (< 3 mois), fièvre modérée possible.

Biologique : hyperbilirubinémie totale (> 50 µmol/L), hypertransaminasémie (surtout ASAT, mais modérée, < 10 normales), diminution du TP, hyperleucocytose à polynucléairéaires neutrophiles, syndrome inflammatoire.

Gravité : score de Maddrey (fondé sur le TP et la bilirubinémie).

Carcinome hépatocellulaire (CHC)

Incidence annuelle du CHC en cas de cirrhose : 1 à 5%.

Dépistage systématique chez ces patients : échographie hépatique et dosage de l'alpha-foetoprotéine (AFP) systématique tous les 6 mois.
Si difficultés techniques ou nodule suspect : scanner/IRM en coupes fines avec injection de produit de contraste.

Caractéristiques : hypervasculaire au temps artériel (wash-in), hypovasculaire au temps veineux (portal, wash-out) par rapport au parenchyme adjacent.

Si image non typique : biopsie écho-guidée nécessaire (couplée à une biopsie du foie non tumoral).