Anémie : diminution de la masse totale d'hémoglobine (Hb) à l'origine d'un défaut du transport en oxygène.
Une définition basée sur le taux d'hémoglobine
Définition :
- Homme adulte : Hb < 13 g/dl
- Femme adulte : Hb < 12 g/dl (si grossesse : Hb < 11 g/dl car hémodilution, < 10,5 g/dl à partir du 2e trimestre)
- Enfant : grandes variations selon l'âge
Si splénomégalie ou gammapathie monoclonale : fausse anémie car hémodilution.
Physiologie de l'érythropoïèse
Erythropoïèse : production de globules rouges (hématies).
Dépend de nombreux facteurs dont l'érythropoïétine (EPO), synthétisée par les cellules tubulaires rénales.
Localisation : dans la moelle osseuse.
Phases : différenciation et maturation de la lignée érythroblastique en réticulocytes puis en hématies.
Hématie : cellule anucléée, en forme de disque biconcave de 7 µm de diamètre, grande capacité de déformabilité.
Durée de vie : 120 jours.
Destruction : surtout par phagocytose intracelluaire grâce aux macrophages de la rate, du foie et de la moelle osseuse (85%), sinon dans les vaisseaux par hémolyse intravasculaire physiologique (15%).
Hémoglobine (Hb) : pigment constitué de 4 chaînes de globines (2 alpha et 2 béta chez l'adulte), contenant des molécules d'hème, liant les molécules de Fer.
Rôle primordial : transport d'oxygène dans le sang, des poumons vers les tissus.
Suspicion clinique : le syndrome anémique
Le syndrome anémique est inconstant et non spécifique. Il se définit comme la présence de signes / symptômes faisant suspecter une anémie :
- pâleur cutanéomuqueuse
- asthénie inhabituelle
- céphalées
- palpitations
- tachycardie
- souffle cardiaque fonctionnel
- dyspnée d'effort d'intensité variable
En cas d'hypoxie tissulaire, les signes peuvent être :
- angor
- lipothymie
- syndrome confusionnel
En cas d'anémie secondaire à une hémolyse :
- Ictère d'intensité variable
- Si hémolyse intravasculaire massive : urines foncées (jusqu'à "rouge porto"), syndrome pseudogrippal, lombalgies
- Si hémolyse intratissulaire persistant : splénomégalie
Critères de gravité de l'anémie
La gravité de l'anémie est surtout liée à sa profondeur et sa vitesse d'installation.
Il faut également prendre en compte :
- terrain : âge, comorbidités
- tolérance : signes d'insuffisance coronarienne (angor, signes ECG), tachycardie, hypotension, dyspnée, lipothymie, confusion, signes déficitaires neurovasculaires
2 urgences à connaître :
- hémorragie aigüe : saignement abondant extériosé (digestif, gynécologique, génital) ou non (hématome profond, postopératoire, etc.)
- hémolyse intravasculaire : hyperthermie, frissons, malaise, nausées, douleurs abdominales, douleurs lombaires, ictère, urines foncées, pâleur intense, autres signes d'anémie jusqu'à l'état de choc avec coma
Mesures d'urgence
En cas de signe de gravité :
- surveillance : vigilance, pouls avec scope ECG, pression artérielle, fréquence respiratoire, saturation veineuse pulsée en oxygène (SpO2)
- mesures symptomatiques : repos, oxygénothérapie, pose d'une voie veineuse périphérique
- transfusion sanguine de concentrés de globules rouge (CGR) : si déglobulisation importante et rapide, instabilité hémodynamique, signes de mauvaise tolérance (angor, signes d'ischémie myocardique, lipothymie), Hb < 8 g/dl chez un malade à risque cardiovasculaire
Traitement de la cause :
- selon l'origine : hémostase endoscopique, radiologique interventionnel ou chirurgicale
- arrêt des anti-agrégants ou anticoagulants
- etc.
Démarche étiologique
Pour rechercher la cause d'une anémie, il faut analyser les indices érythrocytaires :
Analyse du volume globulaire moyen (VGM) :
- anémie microcytaire : VGM < 80 fl
- anémie normocytaire : 80 fl < VGM < 98 fl
- anémie macrocytaire : > 98 fl
Interprétation du taux de réticulocytes :
- anémie arégénérative : réticulocytes < 120 G/l (ou 120 000/mm3)
- anémie régénérative : réticulocytes : > 120 G/l
Causes d'anémies
Anémies microcytaires
Principales causes :
- carence martiale : causes gynécologiques à évoquer chez la femme en période d'activité génitale, digestive chez l'homme et la femme ménopausée
- syndrome inflammatoire prolongé : séquestration du pool ferrique
- thalassémies (sauf thalassémies mineures (a ou b) car microcytose sans anémie)
Pour les différencier :
- dosage de ferritine : abaissée si carence martiale, augmentée si syndrome inflammatoire
- protéine C-réactive (CRP) : élevée en cas de syndrome inflammatoire
- Electrophorèse des protéines de l'hémoglobine : en deuxième intention, si suspicion de thalassémie
Anémies normocytaires arégénératives
Principales causes : insuffisance de production médullaire
- atteinte de la moelle osseuse : érythroblastopénie, envahissement tumoral, myélodysplasie, etc.
- insuffisance rénale chronique : défaut de synthèse d'EPO
- hypothyroïdie : diminution du métabolisme basal
- syndrome inflammatoire : normocytaire initialement puis microcytaire si prolongé
Examens à réaliser :
- dosage de la créatinine
- TSH ultrasensible (TSHus)
- CRP
- Si aucune cause évidente, réticulocytes < 10 G/l ou si atteinte de plusieurs lignées (leucopénie, thrombopénie) : myélogramme +/- caryotype
Anémies macrocytaires arégénératives
Principales causes :
- carence en vitamine B9 (folates) ou B12 : défaut de synthèse de l'ADN (d'autres cytopénies souvent associées), présence d'érythroblastes de grandes tailles (mégaloblastes)
- hypothyroïdie
- myélodysplasie : atteinte fréquente d'autres lignées
Examens à réaliser :
- dosage des vitamines B9, B12 et de la TSHus
- si normaux : myélogramme avec caryotype
Anémies normo- ou macrocytaires régénératives
Principales causes :
- hémorragie : réticulocytose apparait après 48h
- hémolyse :
- corpusculaire : maladie de l'hémoglobine, enzymopathie, maladies de la membrane du globule rouge
- extracorpusculaire : destruction des GR par processus toxique (saturnisme), infectieuse (paludisme), mécanique (microangiopathie thrombotique), immunologique (anémie hémolytique auto-immune)
- anémie arégénérative corrigée récemment : souvent après correction d'une anémie carentielle supplémentée en folates
A réaliser :
- signes d'hémolyse : LDH augmentée, bilirubine libre augmentée, haptoglobine diminuée (voire indosable)
- si anémie hémolytique avérée :
- frottis sanguin à la recherche d'anomalies morphologiques : schizocytes en faveur d'une cause mécanique, recherche de paludisme si voyage en pays d'endémie,
- test de Coombs direct (test direct à l'antiglobuline) : en faveur d'une anémie hémolytique auto-immune
Particularités chez l'enfant
Grandes variations des valeurs normales en fonction de l'âge :
- maximum à la naissance car Hb foetale,
- puis diminution jusqu'à 3-6 mois
- puis augmentation pour atteindre les valeurs adultes
Cause la plus fréquente : carence martiale
Enquête étiologique :
- mode d'installation : chronique ou brutal (moins bonne tolérance)
- antécédents personnels : prématurité, hypotrophie foetale, anémie maternelle durant la grossesse, maladie hématologique connue (drépanocytose, thalassémie, maladie du globule rouge, etc.), maladies chroniques à risque de saignement
- antécédents familiaux : maladie du globule rouge
- croissance : rechercher un retard sur la courbe staturopondérale
- alimentation : vérifier avec les parents, chercher des signes de malabsorption, maladie inflammatoire du tube digestif (aphtes, abcès péri-anaux)
- prise de médicaments
- infections : à répétition, ulcération gingivale, purpura, paludisme
- signes de syndrome hémolytique et urémique (SHU) : diarrhée, alimentation à risque (lait cru, boeuf haché mal cuit, etc.)
- syndrome tumoral
- atteintes d'autres lignées